électronique, violoncelle
durée: 15:00
2001
“remember...”
pour violoncelle solo et électronique
(à la mémoire des victimes des camps d’extermination)
Au commencement il y eut la lecture du livre écrit en 1996 par la violoncelliste Anita Lasker : Inherit the truth (en français : La vérité en héritage ; en allemand : Ihr sollt die Wahrheit erben).
Puis le retour à l’histoire des camps.
Etre témoin de ça!! On ne doit pas “admettre qu’on se débarrasse du problème posé par le génocide des Juifs en le reléguant dans l’impensable. Le génocide a été pensé, c’est donc qu’il était pensable.”(P.Vidal-Naquet cité dans “Mémoire des camps”, éd.Marval, 2001)
J’avais aussi depuis longtemps, présents en mémoire, ces mots écrits par Shakespeare et prononcés par l’esprit du père de Hamlet : “Adieu, adieu! Hamlet, remember me.”
Et il y a maintenant - ce qui nous place au coeur même du sujet - le début du texte de Un survivant de Varsovie (oeuvre de Schoenberg composée en 1947 pour récitant, choeur d’hommes et orchestre) : “I cannot remember everything!... I remember only the grandiose moment when they all started to sing...”
Le choix du violoncelle solo s’étant imposé, j’ai ressenti la nécessité d’agrandir le champ sonore de l’instrument avec l’électronique. Les moyens actuels de l’informatique musicale permettent de multiples actions sur le son en direct. Ici j’utilise un programme dont les traitements acoustiques du son direct peuvent être expérimentés, choisis, puis enregistrés. Au cours de l’interprétation en concert ces traitements sont donc “appelés” au fur et à mesure du déroulement de la partition. Ils peuvent être appliqués selon la décision prise lors des répétitions, mais aussi modifiés sur le moment. Le résultat sonore donne quelquefois à l’interprète la possibilité ou l’envie d’improviser dans la continuité de ce qui est proposé, en interaction avec le son traité par l’ordinateur.
Un peu comme c’était le cas dans les musiques mixtes que j’avais composées il y a plus de trente ans selon la technique de la musique concrète, l’électronique joue ici le rôle de contrepoint à l’instrument qui est sur scène ; c’est une sorte de double qui accompagne, travestit, enrichit, trouble le son acoustique. Je ne cherche pas à créer des effets spectaculaires (ce qui aujourd’hui est d’une banalité extrême), mais en quelque sorte à traverser, dépasser le “corps” du violoncelle en ne quittant pas son souffle, sa voix, sa substance.
Au début du travail j’ai ressenti une contradiction, une opposition totale entre l’écriture instrumentale et la recherche électro-acoustique, comme si l’une excluait l’autre. Peu à peu un lien s’est établi entre les deux domaines en mettant en oeuvre à la fois des idées “jetées” (comme improvisées sur l’instrument, comme cherchées au hasard sur l’ordinateur) et des motifs “travaillés”, développés raisonnablement.
Mais l’écriture du violoncelle demeure volontairement comme “décharnée”, concentrée sur l’élémentaire, sur ce quelque chose qui vit, même si ce n’est presque rien.
Pour relier la musique au sujet il m’a semblé indispensable d’insérer dans l’exécution quelques éléments (montés et pré-enregistrés sur CD) qui sont des évocations sonores, des citations fugitives, mais qui surtout créent une perspective, un éloignement en même temps qu’une sorte de trivialité : la valse viennoise (J.Strauss), la Rêverie de Schumann (souvent jouée au camp par Anita Lasker), la narration de Un survivant de Varsovie de Schoenberg, des bruits (machines, train,...).
La musique de Schoenberg est de plus insérée dans le discours du violoncelle par quelques citations de son Trio à cordes, op.45, qui fut composé, signe de renaissance, après une grave attaque cardiaque.
Eric Gaudibert